Invité par Pierre Guigui, dans le cadre de Movis (Acronyme pour MOts du Vin et des Spiritueux, association des journalistes, dégustateurs et écrivains du Vin), je me suis rendu à Paris dans le Xème arrondissement à l'Atelier le Rouge aux Lèvres pour découvrir l'un des premiers vins bretons commercialisé depuis peu.
Un peu d’histoire
On parle de vignes en Bretagne à partir du Vème siècle de notre ère. Plus proche de nous, la vigne et le vin a très longtemps fait partie intégrante de l’économie des fermes en polyculture. La vigne a toutefois peu à peu déserté la Bretagne et en 1848 il en subsistait, selon les textes, encore 800 hectares (vu dans l'excellent article de Julie Reux dans la Revue du Vin de France). Le développement des chemins de fer, le phylloxera, l'interdiction des hybrides ont eu finalement raison de quasiment tout le vignoble breton et l'AVBD (voir ci-dessous) estime qu'en 1960 les dernières vignes officielles de Bretagne ont disparu.
Depuis, quelques passionnés ont décidé de replanter de la vigne, histoire de conserver une culture existant depuis des siècles.
En 2005 est créée l’Association pour le Renouveau (devenu Reconnaissance) des Vins de Bretagne (ou ARVB) qui va permettre, dans un premier temps d'éviter l'arrachage des vignes "patrimoniales" plantées hors région "viticole" (et hors règlementation) puis de promouvoir le développement d'un vignoble breton.
Le vin en Bretagne aujourd’hui
Selon Pierre Guigui, il existe aujourd’hui plus de 30 projets professionnels qui représenteraient environ 90 hectares de vignes appelés à monter à près de 200 ha. Il faut noter la création, en 2021, de l’Association des Vignerons Bretons qui fédère les jeunes professionnels. Un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA) viticole est également proposé dans le cadre du lycée agricole Kerplouz à Auray dans le Morbihan. La filière viticole bretonne s'organise.
Et les vins dans tout çà
Nous avons pu déguster un blanc et un rouge du domaine Les Longues Vignes (nom issu d'une parcelle historique du domaine) de Pauline et Edouard Cazals. Le domaine a été créé en 2019. Il s'étend aujourd'hui sur environ 4 hectares et est en conversion vers l'agriculture biologique, agriculture biologique qui semble, à priori, être un des futurs marqueurs de la production bretonne.
La cuvée Glaz blanc 2022 est issue de chardonnay planté sur des sols sablo-argilo-limoneux et sous-sols de schistes et de quartz sur un coteau plein sud de la vallée de la Rance. La récolte, manuelle, se fait en trois passages (ou tri), et ce vin est issu du 2ème tri. Côté cave, les raisins sont pressurés directement et lentement. Le jus est débourbé à froid. La fermentation (en levures indigènes), la malo-lactique et l'élevage se font en fûts et barriques de 225 et 400 litres (âgés de un à trois vins).
Le vin est frais, très agréable, aérien, pouvant paraître un peu léger (mais ce n'est que la première récolte) et franchement on prend beaucoup de plaisir à le déguster. Pour une première récolte, c'est déjà très abouti.
La cuvée Glaz rouge est elle issue du cépage Grolleau que l'on retrouve d'habitude dans le Val de Loire (Rosé de Loire et Rosé d'Anjou entre autres). Les vignes sont plantées sur le même terroir que le chardonnay. Premier tri d'une vendange effectuée à la main, la macération a duré 9 jours de façon douce (un pigeage tous les deux jours). la fermentation se fait avec les levures indigènes en cuve béton, l'élevage en barrique de 1 vin et en oeuf béton. Le vin est non filtré et non collé avant la mise en bouteille.
Côté dégustation, là encore beaucoup de fraîcheur, du fruit, de la mâche et quelques notes de poivres et d'épices. Le vin est encore un peu jeune et manque peut-être un peu de largeur et de profondeur mais ce 2022 laisse présager un bel avenir à cette cuvée quand la vigne aura pris quelques années. Ce 2022 fera, à mon avis un très joli vin pour les journées d'été.
L'avenir des vins bretons
Région viticole en renouveau, la Bretagne va bien sûr être confrontée aux mêmes problématiques climatiques et économiques que connaissent les autres vignobles.
Les néo-vignerons en sont conscients et les projets économiques se construisent patiemment avec des modèles économiques souvent hors de la monoculture .
Au départ de cette nouvelle épopée, on devrait sûrement rencontrer des vins très différents selon les orientations des domaines, le choix des cépages et des itinéraires techniques. Le chemin vers un style "vin breton" sera sûrement assez long.
Aujourd'hui commercialisés en Vin de France et donc interdits de mention Bretagne sur l'étiquetage, le projet d'une IGP (Indication géographique de Provenance) "Bretagne" pourrait être bientôt à l'étude afin d'ancrer un peu plus la vigne dans la région.
La rareté, la qualité et l'identité des vins « Made in Bretagne » seront, comme souvent, trois clés qui devraient largement aider à la réussite annoncée du renouveau des vins bretons.
Pour aller plus loin :
- Le Renouveau de Vins Bretons - Pierre Guigui (Editions Decitre)
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